François Berger

écrivain, éditeur, essayiste et conférencier

Amours, délices et orgues

Par François Berger*

Dans les sciences, les affaires, les assemblées, on feint de l’ignorer alors qu’il est partout, interpelle chacun de nous. Il n’est pas l’aboutissement d’un processus psychologique. La critique faite par Ortega y Gasset (Sobre el amor) à l’encontre de Stendhal (De l’amour), jugé trop rationnel par le grand philosophe espagnol, est pertinente.

L’amour, beau mot de la langue française, recelant, en ses premières lettres, un autre beau mot, âme (am), qui s’écoule silencieusement, sans discontinuité, sur l’antique cité d’Ur (our), en Chaldée, d’où partirent les Hébreux guidés par Abraham … Un symbole caché ?

Il n’a pas d’autre origine que lui-même. Il est don, liberté vivante au cœur du mystère de l’être. Son surgissement sensible et plein, s’il altère les sens, perturbe la raison, n’annule point notre liberté mais en révèle des horizons plus vastes. Mais d’abord, il montre ce qui fait face à notre être : un autre être. Aimer l’autre, c’est le voir dans sa réalité toujours difficile à saisir, à partager. Qui es-tu, toi qui vis avec moi depuis si longtemps ? L’amour est « notre ordination à l’autre auquel nous voulons nous donner pour le posséder et nous en accroître », dit magnifiquement le philosophe Gabriel Madinier. A partir de ce regard rendu possible par le sentiment d’aimer, il nous appartient de décider si nous voulons lui donner sa chance. L’amour, pas plus que Dieu qui en est le principe tout en le dépassant, ne contraint à aimer. Il faut donc se décider, s’engager ou non. S’engager ? Un mot qui, si j’ose dire, a perdu ses lettres de noblesse. Depuis plusieurs lustres, le mariage est en perte de vitesse, moins de délices et encore moins d’orgues, quand bien même le souci d’une plus grande harmonie conjugale et familiale a été inscrit dans la loi civile. Et si le divorce est facilité par des règles de droit où prévalent toujours davantage des critères objectifs (situation économique de chacun des époux), cela n’y change rien. En matière religieuse aussi, les normes ont été assouplies, personnalisées. Admission du mariage mixte (entre catholique et baptisé non catholique) et même des unions avec disparité de cultes (entre chrétien et non chrétien).

Ainsi, l’engagement dans une union durable apparaît indépendant de ses effets et des possibilités légales de la dissoudre. Les voies nouvelles n’ont donc point joué en faveur de celui-ci. Au lien conjugal est préférée l’union libre ou le « Pacs ». On se prête, on ne se donne plus. Or le don dépasse le prêt. Signes d’une époque critique où domine une très forte subjectivité, un peu comme si le prochain devenait nous-mêmes. Une dame me disait, avec conviction : quand on aime vraiment, on se marie ! Mais l’engagement sur le long terme n’est guère possible sans notre « ordination » à des valeurs propres à lui assurer la protection, l’encouragement, dont il a, chaque jour, besoin.

François Berger, avocat, écrivain

12.03.2025