François Berger

écrivain, éditeur, essayiste et conférencier

Carl Spitteler, le Prix Nobel oublié

Mais qui donc était Carl Spitteler (1845-1924), injustement oublié ? Fallait-il la visite du Président chinois, en Suisse, il y a quelques années, pour nous rappeler cet unique Prix Nobel Suisse de littérature (1919), excepté Hermann Hesse (1946) qui cependant fut Allemand avant d’être naturalisé Suisse.

Né à Liestal, marié, père de deux filles, décédé à Lucerne, il étudia le droit et la théologie. Cet esprit volontiers voltairien révolté contre Dieu et le destin fut cependant consacré pasteur, mais sans avoir charge de paroisse, précepteur privé durant huit ans à Saint-Pétersbourg. A son retour en Suisse il enseigna les langues classiques, l’allemand, l’histoire, notamment à La Neuveville dont le musée d’Art et d’Histoire lui consacre une belle exposition avec manifestation publique le dimanche 27 octobre.

Il fut également journaliste et conférencier et voyagea beaucoup. Son œuvre est fort riche : épopées, romans, récits, poésie, critiques littéraires et musicales. Plusieurs de ses écrits sont traduits en français.

On regrettera, sous réserve d’une récente monographie (Stefanie Leuenberger, Spitteler, un idéaliste très réaliste, éditions Infolio en collaboration avec l’ACEL, Bienne), le silence des éditeurs suisses en ce centième anniversaire du Prix Nobel décerné à cet illustre écrivain animé d’un idéal humaniste universel.

Pour combler cette lacune un grand roman de Spitteler, dans l’excellente traduction de l’époque, de Gabrielle Godet, vient d’être réédité : IMAGO (éditions Soleil d’Encre). Ce livre passionna Freud, lequel considérait Spitteler comme un de nos grands poètes, admiré également par Jung, Nietzsche, Walter Benjamin, Romain Rolland, d’autres encore jusqu’à nos jours et ce roman reste d’actualité ! Le père de la psychanalyse donna le titre d’IMAGO à sa première revue. Quel plus bel hommage ?

Si la description des émois intenses de l’amour vécu par le personnage principal demeure centrale et magistralement orchestrée, Spitteler ne se prive pas de dire ses vérités : Les gens polis sont tous plus ou moins hypocrites (…)  Lui un génie ? Certes, un de ces milliers de génies avortés comme chaque famille en a un en réserve (…) Les qualités personnelles ne sont pas des armes à longue portée.

On rappellera également que Spitteler fut parmi les plus farouches opposants à la barbarie de la Grande Guerre. Aussi prononça-t-il, en 1914, un discours d’unité nationale demeuré célèbre : Notre point de vue suisse.

A découvrir ou à redécouvrir, toutes affaires cessantes !

François Berger
Ecrivain, éditeur, membre de la Société européenne de culture