François Berger

écrivain, éditeur, essayiste et conférencier

Dans l’ombre chaude de l’islam

« Est-elle une des cinq ou six créatures humaines qui naissent dans tout le siècle pour aimer la vérité et pour mourir sans avoir pu la faire aimer aux autres ? » écrivait Georges Sand, citée par Edmonde Charles-Roux dans son beau livre consacré à Isabelle Eberhardt (1877-1904).

Origines allemande et russe, née à Genève, et une fascination : l’Orient. Il y a or dans Orient. Une conversion à l’Islam, un mythe à la Rimbaud et, comme l’homme aux semelles de vent, morte jeune, comme beaucoup de prodiges de l’art, de l’esprit. Oubliée ? Qui lit ses écrits intimes, reportages d’Afrique du Nord, fruits de ses réflexions au tout début du vingtième siècle ? Isabelle a alors à peine plus de vingt ans. Elle est partie seule, aventurière comme l’ont été Ella Maillart, Annemarie Schwarzenbach, et tant d’autres, inconnues, courageuses si l’on sait les conditions des voyages à cette époque. Même fascination pour l’Orient, recherche de la vérité, rêves d’aventures et d’écriture.

Ces femmes admirables n’auraient-elles pas la reine de Saba pour ancêtre commune ? Si la souveraine (Je suis Noire, mais je suis belle)(Cantique des Cantiques,1)la plus tenace de toute l’Antiquité n’a point existé, peu importe à mesure où les textes (Livre des Rois) parlent de son périlleux et long voyage du sud de l’Arabie jusqu’à Jérusalem. La Bible fonde ainsi une existence qui nous interpelle. Le combat des femmes pour la vérité et la justice a plus de trois mille ans, sans doute de toujours, mais si longtemps, trop longtemps, rejeté, méprisé. Sa visite au roi Salomon n’est point de courtoisie. « C’était bien la vérité que j’avais entendu dire dans mon pays sur tes paroles et sur ta sagesse » (1, Rois, 10).  Puis elle rentra chez elle, comme rentrèrent les femmes ayant annoncé, dans un matin tout blanc, la résurrection de Jésus. La première prédication chrétienne au monde vient des femmes. (Matthieu, 28 ; Luc, 24).

Si, parmi les religions, des convergences sont indéniables (reconnaissance de la sainteté, dans leur essence, des livres sacrés), les divergences, nombreuses, entraînent les errements et les horreurs qui sont toujours le fait de l’humanité avide de pouvoirs. A l’heure où les tortionnaires djihadistes engendrent, par leurs actes abominables, un nouveau climat d’hostilité à l’encontre de l’Islam dont les Occidentaux se méfient, souvent par méconnaissance, les méditations d’Isabelle nous en rappellent la sagesse, la profondeur.

« Ne jamais donner son âme à la créature, parce qu’elle appartient au Dieu unique ; voir dans toutes les créatures un motif de jouissance comme un hommage au Créateur ; ne jamais se chercher dans un autre, mais se trouver en soi-même. Et, sans doute, le plus ignorant des êtres sera déjà très savant si, comme tout bon musulman, il peut unir, sans péché, la foi à la sensualité ». Et répond, tel un écho, la voix de ce grand Jésuite, le Père Teilhard de Chardin : « L’humain peut-il se donner pleinement à une nature purement humaine ? ».

Isabelle toujours : « Par-delà la science et le progrès des siècles, sous les rideaux levés de l’avenir, je vois passer l’homme futur et je comprends qu’on puisse finir dans la paix et le silence de quelque zaouïa du sud, en face des horizons splendides ».

Elle avait alors vingt-sept ans.

C’était quelques mois avant « l’heure inévitable de l’éternité. » dont Rimbaud, le prince, disait : « C’est la mer allée avec le soleil ».

François Berger, avocat, écrivain
Dernier titre paru :
« Les Pavillons de Salomon », roman, L’Age d’Homme