François Berger

écrivain, éditeur, essayiste et conférencier

La liberté et le royaume

Au petit matin du 8 septembre dernier, ma mère s’en allait, suivie quelques heures plus tard de la reine Elizabeth.

Deux femmes, deux destins, venant de deux mondes. Cela n’empêche pas des points de convergences lors même que leur rencontre apparaissait impossible. Seule la mort réunit en son royaume où, malgré son nom, tout privilège de rang, de fortune, de naissance, est aboli. Un royaume sans roi, sans reine.

Ma mère voulait être comédienne et la princesse Elizabeth ne voulait pas être reine. La mort de son père, George VI, auquel elle succéda, en décida autrement. Ce sont les autres qui font notre vie, souvent.

Chacune d’elles épousera, librement, l’homme qu’elle aimait, (ce qui n’était pas fréquent pour la noblesse de ce temps-là), fera un mariage d’amour et fondera une famille. Mariée très jeune, ma mère renonça à monter sur les planches. A-t-elle eu des regrets ? Et Elizabeth II ? Sans doute elle dut parfois rêver à une autre vie avec Philip Mountbatten, prince de Grèce et de Danemark, se souvenant de leurs heureux séjours maltais. Cependant, elle respectera toujours le serment fait lors de son couronnement et sera une reine très populaire.

Ma mère demeura libre d’avoir une vie de famille normale, de s’adonner, avec art et délicatesse, à la peinture sur porcelaine. Elle fréquenta des amis et amies de tous les milieux et travailla longtemps comme aide-soignante, aimant profondément les gens. Dans notre charmante ville de Neuchâtel, chacun la reconnaissait, coquette, souriante, spontanée, adorant faire ses déplacements à vélo, jusqu’à 86 ans, sans toujours respecter les signaux de la circulation … Un vélo qui n’avait certes rien à voir avec les carrosses et les beaux chevaux de la souveraine, mais qui est aussi un signe de liberté dont celle-ci était privée.

Durant des lustres, l’impitoyable marque des ans semblait avoir oublié les deux femmes qui traversèrent presque un siècle et connurent heurs et malheurs, car c’est le lot de toute l’humanité.

A-t-on pu croire un temps qu’elles étaient immortelles ?

 

François Berger
écrivain, éditeur
membre de la Société européenne de culture