François Berger

écrivain, éditeur, essayiste et conférencier

Solitude et divertissement

A considérer les peines de ses semblables, Pascal nous légua cette pensée : Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Même le roi, sans divertissement, le voilà malheureux, soulignait l’auteur des Pensées.

Les distractions invalident momentanément chagrins et soucis. Mais quelle est la vérité du divertissement sinon de nous relier aux autres, au monde. L’isolé, dans sa chambre, regardant un film ou lisant avec bonheur, congédie sa claustration. De même le promeneur solitaire au sein de la nature. Patientera-t-il jusqu’au 21 décembre, et armé d’un télescope, que Saturne et Jupiter lui apparaîtront sur une même ligne. L’univers céleste aussi est distraction. Ce phénomène ne s’est plus produit depuis le 16 juillet 1623, à quelques jours de la naissance de Pascal !

Osons cette hypothèse : Notre besoin de divertissement n’aurait-il pas sa lointaine origine dans la Genèse (Chapitre 3) ? Je ne crois guère à l’essence divine de cette fable. Mais les grands textes spirituels interpellent aussi l’athée. La solitude n’existait pas au Jardin d’Eden ; elle naîtra après le renvoi d’Adam et Eve. Les conséquences de la Chute auraient-elles disparu du champ de la conscience collective ? Notre constant besoin de divertissement, sous toutes ses formes, même les plus meurtrières, semble bien répondre que non.

Dans notre lutte face à l’angoisse d’abandon que notre solitude nous rappelle, nous voici dépendants de produits de distraction massive, tel l’usage compulsif de ces pernicieux portables entraînant la disparition de la parole en phase humaine directe. Nombre de divertissements actuels menacent notre dignité de gardien de notre propre être (Heidegger) devenu la proie de l’anonymat et du futile.

La réponse est souvent du côté des poètes : Là où il y a danger, là aussi croît ce qui sauve ! chante Hölderlin.

François Berger
Ecrivain, éditeur,
Membre de la Société européenne de culture